
L'humilité
des corps célestes
Stéphanie Sagot
Stéphanie Sagot – un art d’amour au service de la Terre et du cosmos
Paul Ardenne
Stéphanie Sagot se définit comme « artiste, maîtresse de conférences en art, amoureuse de la terre et de l’océan, méditante et fille et petite-fille d’ostréiculteur.ices ». Ses œuvres élisent pour thème l’écologie et l’amour de la Terre sous un angle à la fois réaliste, didactique et émotionnel. Pour elle, l’environnement doit être approché de façon fusionnelle.
Le titre de cette exposition, « Humilité des corps célestes », dérive de l’étymologie du mot « humilité », en lien avec l’humus, la terre nourricière et fécondante. Quant à l’évocation des « corps célestes », celle-ci renvoie au grand tout, dont nous participons sur Terre, tous organismes compris, du plus humble au plus notoire. Stéphanie Sagot précise, lors d’une de ses expositions, ouverte à Stuttgart, au Künstlerhaus, « Voyage en Terres Amoureuses » (19 juillet - 30 novembre 2025) : « Depuis 2023, je développe l’œuvre archipélique Terres amoureuses, une cosmogonie concrète réengageant territoires et sentiments, terre et tendresse. Cette expression française du XIXe siècle désigne une terre ameublie et rendue féconde [et est] issue d’un ancien usage du mot "amour", qui définit une terre fertile. Elle disparaît des dictionnaires français en 1928 tandis que l’agriculture intensive se déploie et rappelle l’importance oubliée du précieux lien organique à la terre (…).
À l’heure des ambitions spatiales, ces Terres amoureuses célèbrent la Terre et la vie. Elles nous invitent à ressentir le mystère du cosmos qui nous habite. »
Avoir soin du Tout et de l’Ici
Les œuvres plastiques de Stéphanie Sagot prennent diverses formes, avec cette récurrence cependant, de grands dessins chargés de multiples détails ayant valeur de planches pédagogiques – un travail qu’elle présente en cet automne 2025, à la Sorbonne Artgallery. Susciter, comme cette artiste y invite ici, à l’éveil au monde naturel, aux blessures que subit l’environnement, à l’univers paysager et paysan et aux violences enregistrées à leur encontre : cette modulation, poétique, est aussi ouvertement politique et concerned,
« préoccupée » par le devenir du monde humain et non-humain à l’heure de la transition climatique.
La vocation de l’art de Stéphanie Sagot, en schématisant ? Mettre en exergue tant la nature même des paysages que la sensibilité que ceux-ci peuvent activer en nous, notoirement lorsqu’ils font l’objet de prédations ou de dégradations. L’expression artistique, dans cette logique, en appelle aux relations apaisées avec le vivant compris de manière élargie : le biotope terrestre, dont les humains, le minéral, le cosmique, en une perspective holistique, puisque tout dépend de tout. La visée de l’artiste, appuyée par des œuvres en rapport, incitatrices, dénonciatrices ou relevant de l’hommage, rejoint la préoccupation du care, du « soin » : rédimer le monde, en faire un espace mieux-vivable, y promouvoir la meilleure santé possible pour tous et pour tout, dans l’esprit du concept « One Health », une santé commune, partagée.
Se jouer des discours hypocrites et des faux-nez
Parallèlement à une dynamique carrière personnelle consacrée à valoriser l’ouverture à un monde meilleur et plus éthique, Stéphanie Sagot a créé en 2016, en collaboration avec Suzanne Husky, le Nouveau Ministère de l’Agriculture, sur un mode simulationniste et cette fois, plus caustique. « Nouveau Ministère de l’Agriculture » ? Cette institution, dans les faits, n’existe pas. Les artistes l’ont néanmoins fait vivre au travers d’un site web aux airs de portail numérique émanant de la République française et de créations signifiantes, d’esprit écologique, dans cette optique : inciter le visiteur du site à prendre à rebrousse-poil les propositions officielles quand elles sont hypocrites. Encore et dans la foulée, suggérer cette alternative, se méfier voire se défier du discours officiel et des propositions venues d’en haut, trop souvent mensongers. Parmi les créations du Nouveau Ministère de l’Agriculture, relevons notamment la série d’aquarelles Éléments de langage (depuis 2022), reproduction peinte de photographies consacrées à des figures importantes du monde politique global occupées de planter des arbres, en signe d’exemplarité, et posant devant les photographes – ces mêmes figures, Margaret Thatcher, Donald Trump, Nicolas Sarkozy ou encore Emmanuel Macron… dont l’action en faveur de l’écologie demeure contestable voire réputée inamicale.
Cet ouvrage venant contrer la propagande trouve son complément, sous une forme différente, avec L’Aventure du vivant : géoingénierie verte, création de Stéphanie Sagot en collaboration là encore avec Suzanne Husky, dans le cadre de leur Nouveau Ministère de l’agriculture. L’aventure du vivant : géoingénierie verte, une peau de vache aquarellée de 250 x 250 cm, se présente de manière singulière sous l’espèce d’une tenture amérindienne en peau de bovin suspendue à un portique de bois. Évocation non dissimulée de la culture autochtone que celle-là, et en filigrane, de sa sagesse écologique. Équivalent d’une planche pédagogique mais anachronique, comme décalée dans le temps, cette peau est ornée de multiples dessins qui renvoient à des pratiques actuelles ou étudiées par des centres de recherche américains de géo-ingénierie censées soutenir la lutte contre la pollution atmosphérique, la destruction des sols et l’appauvrissement environnemental. Stéphanie Sagot et Suzanne Husky, pour réaliser cette œuvre ont emprunté le titre « L’aventure du vivant » à un grand plan de formation pour les futurs agriculteurs mis en place par l’Etat, une agriculture robotisée et mécanisée aux airs de jeu vidéo… Les artistes y pointent toute la dimension hypocrite de ce programme en réalité extractiviste et signalé par des pratiques plus nocives que vertueuses pour l’environnement. Comme l’écrit Lauranne Germond (dans le catalogue de l’exposition L’eau et le diamant, présentée en 2023 au siège de la Société générale, à La Défense), cette œuvre « dresse un inventaire de ces géo-ingénieries, systèmes de manipulation du climat actuellement expérimentées dans le but de lutter contre le réchauffement climatique », ceci, alors même que « leur dangerosité est reconnue ».
Amor Mundi
On décèlera, dans l’œuvre à ce jour profuse et multidirectionnelle de Stéphanie Sagot, une création multiforme familière aussi des relations art-science, de la pensée mystique et des sciences naturelles – l’expression d’un humanisme non pas transcendantal mais immanent, actif à l’échelle du présent, du proche comme du lointain géographique et mental. Que comprendre ? L’art ainsi envisagé ne saurait être une pure abstraction, un flux vaporeux, une fuite au plus loin du monde actuel et de ses réalités et nécessités, environnementales au premier chef. Il lui faut tout au contraire se ramarrer à l’efficience concrète. Cet engagement sensible est indissociable d’un chantier motivé qu’animent en l’occurrence ces deux puissants moteurs, l’amour du vivant et le souci de sa meilleure préservation possible.
Où l’art sauve, à sa mesure.