
WHERE
IS MY
home?
De Babylone en Babylones, de Gulbenkian à Blade Runner
Arnaud Cohen
Commissariat Paul Ardenne
L’exposition Where is my home de Arnaud Cohen se tient du 20 juin au 7 juillet 2025. Le vernissage de l’exposition aura lieu le 19 juin à 18h30
Avant le vernissage, ne manquez pas, à 17h00, la rencontre avec Arnaud Cohen et Paul Ardenne (Amphithéâtre III)
Inscription obligatoire:
biographie
Né en 1968, Arnaud Cohen est un artiste Franco-Portugais qui vit et travaille entre la France, l'Espagne et le Portugal.
Présenté par Valérie Duponchelle comme l'une des dix personnalités qui réinventent la culture (Le Figaro, fév. 2015), il est membre de la Royal Society of Sculptors de Londres.
Arnaud Cohen se confronte dans son œuvre à ses deux principales obsessions, celle de la responsabilité individuelle dans l'édification de destins collectifs, et celle d'une mémoire entre effacement et recomposition permanente. Il a choisi d'interroger le présent et l'avenir avec des outils forgés dans la matérialité du passé. Il puise en effet son inspiration formelle dans l'architecture et en particulier dans la pratique du réemploi. Cette pratique est la seule à ses yeux qui soit satisfaisante d'un point de vue écologique. Sur le fond l'artiste se réfère tout autant aux situationnistes et à Édouard Glissant qu'aux allégories et à la mythologie. Sa pratique appropriationniste le porte vers des formes sociales et esthétiques aussi diverses qu'une fondation, une piste de danse ou un assemblage de vestiges historiques.





WHERE IS HOME?
De Babylone en Babylones,de Gulbenkian à Blade Runner
Arnaud Cohen
Origines mythifiées, altérité et rejet construits sur des critères invisibles, désir de fuite vers un havre idéalisé, le mouvement comme seul invariant d'une identité en reconstructionpermanente. Euphrate, Bosphore, Tage. Dans un monde fini, accepter en conscience, une conscience transgénérationnelle, de se baigner dans ce même fleuve qui n'est jamais lemême fleuve.
Where is Home? Cette série photographique tient ici en neuf photos. Leur ordre ne suit pas la narration. Le cut-up obéit au souhait de ne pas donner un ordre de lecture unique d'une porte de la galerie à l'autre, de toute façon il n'y a jamais dans notre histoire (celle du peuple juif) de destination finale (sauf subie, hélas) et la destination d'aujourd'hui n'est-elle pas le point de départ de 1497 ?
L'ordonnancement de la série n'obéit donc ici qu'à un critère esthétique de symétrie.
Ce que j'écris ci-dessous ne relève ni d'un statement ni d'une sorte de guide, ce sont juste des pistes vraies ou fausses livrées à la sagacité des regardeurs.
De gauche à droite dans l'exposition, on trouve les images suivantes, numérotées de 1 à 9:
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: "Ma" carte postale de Lisbonne, photo prise à l'occasion d'un de mes voyagestouristiques sur place. Découvertes il y a dix ans alors que le Portugal envisageait d'offrir la nationalité portugaise à "ses juifs" qui avaient fui l'inquisition à la fin du XVIe siècle, lesrives du Tage m'ont instantanément puissamment rappelé les rives du Bosphore sur lesquelles ma famille, fuyant l'Espagne puis le Portugal, s'était réfugiée et établie jusqu'au début des années 1920 (et la création de la Turquie sur le rejet de ses minorités et le génocide arménien).
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: Une vue du Tage prise de l'avion qui m'emmène au Portugal pour y émigrer.
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: Octobre 2016. Dans mon appartement parisien, délabré par plusieurs dégâts des eaux, au premier plan, sur la table basse, disposés en désordre, les différents éléments nécessaires à la constitution de mon dossier de naturalisation portugaise. Arbres généalogiques, photos d'identité, casier d'état civil français vierge, passeport français, etc. À l'arrière-plan au centre droit de l'image, on aperçoit le canapé blanc aux coussins bleus de mon œuvre conceptuelle ASFI, hub à l'esprit aéroportuaire où curateurs internationaux se croisent pour échanger et bâtir un réseau de soutien dans un monde où la liberté de monstration est en constante régression (œuvre migrante déployée aux biennales D'akart, du Caire, BIENALSUR de Buenos Aires et de Venise avec la Suisse, mais aussi à la Tate St Ives et présentée au Centre Pompidou dans le cadre de Museum on/off). Sur le mur du fond une photo de cette même pièce alors qu'y est projeté sur le mur du fond le film Blade Runner.Mise en abîme. Instant choisi du film : une réplicante, être humain créé adulte enlaboratoire par le génie scientifique et tycoon de la tech Eldon Tyrell. Esclave des "colonies de l'espace" comme tous les réplicants, elle s'est échappée avec quelques compagnons. Leur but en revenant sur Terre où ils ont été créés : rencontrer Tyrell afin qu'il prolonge, espèrent-ils, leur durée de vie programmée à quatre ans. Il ne leur reste sinon que quelques jours à vivre.
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: Octobre 2016. Dans mon appartement parisien, projeté sur le mur du fond de mon séjour, Blade Runner. Cette photo capture le moment du film où Pris, arrivée sur terre à Los Angeles, cherche à rentrer en contact avec JF Sebastian, le bras droit de Tyrell. Pour l'amadouer, se faire héberger par lui et l'utiliser pour rencontrer Tyrell. elle s'apprête à lui annoncer à la séquence suivante : "I have no home".
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: J'ai trouvé mon nouveau foyer. Pour rentrer dans mon budget, j'ai dû prendre un risque : acheter un bien muré sans en connaître ni l'état intérieur ni le contenu. Quand j'y pénètre enfin, armé d'un pied de biche et d'un gros tournevis, je découvre que le lieumuré était un squat où la prostitution et la prise de drogue avaient cours sur des matelas souillés dans des pièces au plafond éventré. Au sol une multitude de vestiges de cette précédente occupation, misérable. D'autres migrants infiniment plus à plaindre que moi avaient trouvé refuge, travail esclave et oubli d'un insoutenable présent, entre ces murs.
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: Octobre 2016. Toujours dans mon ancien appartement parisien, projeté sur le mur du fond de mon séjour, Blade Runner. Cette photo capture un autre moment du film : nous sommes chez JF Sebastian. JF est un homme jeune qui parait très vieux car il est atteint du syndrome de Mathusalem. Du fait de sa maladie il fait partie des rares jeunes hommes à ne pas avoir quitté la terre pour l'espace. Condamné à ne jamais pouvoir quitter LA, il vit seul dans un immeuble dont la dégradation, les vestiges néoclassiqueset la lumière font écho au mien si bien que les deux espaces semblent se confondre. "De mon côté, portant en moi des siècles de migrations, je me semble aussi vieux que Mathusalem dans le corps d'un homme jeune."
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: Octobre 2016. Toujours dans mon ancien appartement parisien, projeté sur le mur du fond de mon séjour, Blade Runner. Cette photo capture un autre moment du film : nous sommes chez Rick Deckard à Los Angeles. Dans son appartement il y a de nombreuses photos de famille qui constituent une forme de généalogie. Deckard est unchasseur de réplicants comme il y a eu en Europe des chasseurs de juifs pendant la période nazie. Sa mission est de les traquer et de les éliminer. Dans cette séquence, ilanalyse une photo-souvenir d'un répliquant qu'il pourchasse. Il y a donc, comme dans la photo numéro 3, pour le regardeur qui tente d'analyser l'image qui lui est offerte, une mise en abîme d'une photo d'une photo elle-même analysée par Deckard. À la fin du film, nous apprendrons, avec ce dernier, qu'il est en fait lui même un réplicant qui s'ignore. Pour mieux le manipuler, Tyrell a en effet implanté dans le cerveau de Deckard les souvenirs d'enfance d'un humain.
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: Depuis mon nouveau foyer lisboète, loin de la vue idéale de la carte postale de mes rêves, je peux néanmoins, d'une de mes fenêtres, à condition de me hisser sur la pointe des pieds, deviner plus qu'apercevoir, à travers le feuillage des arbres, le Tage et un petit fragment de l'autre rive.
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: Le quartier de Pera à Constantinople, vue du Bosphore (embarcadère de Tophana). Gravure de 1838, dessin de Thomas Allom, graveur J. Sands. Tirée du livre Constantinople and its Environs, par Robert Walsh. Par ses collines qui le bordent, par sa largeur, par sa lumière l'été, par ses bateaux bus qui vont d'une rive à l'autre, le Tage fait immanquablement penser au Bosphore à qui en vient. Ce fut pour moi autant un choc qu'une évidence car durant mon enfance et mon adolescence je me suis rendu plusieurs fois à Istanbul pour y rencontrer les cousins germains de mon père et leurs enfants. C'est à Lisbonne lors de mon premier voyage que j'ai découvert l'existence et le parcours de Calouste Gulbenkian. Milliardaire arménien de Constantinople, il fuit le génocide et se réfugie avec son immense fortune etses collections d'art exceptionnelles à Paris. Ma famille, considérant que le sort réservé aux Arméniens par les Turcs n'est que le hors d'œuvre, et que Grecs, Kurdes et Juifs seront les suivants à être exterminés, fait le même voyage. Lorsque que les nazis arrivent à Paris vingt ans plus tard, en 1940, si ma famille n'a pas les moyens de fuir, Gulbenkian lui se réfugie à Vichy puis à Lisbonne, en 1942. Immédiatement conquis par la similitude entre le paysage du Tage et celui du Bosphore, il s'y établit et y meurt en 1955. Il y lègue ce faisant ses immenses collections à une fondation qui porte aujourd'hui son nom.






